Xavier Guizot

Fondateur de Tirézias

Auditeur de la Session Annuelle 9

 

Après 20 ans au sein du Groupe Carrefour en charge de fonctions globales (Gestion des risques, sécurité, éthique et conformité, assurances), Xavier Guizot intervient désormais en tant que conseil sur ces sujets dans le cadre de la société Tirézias qu’il a créé. Il est également Business Angel dans plusieurs startups à impact et entrepreneur dans le cadre d’une activité de conciergerie-blanchisserie-ménages à la montagne.

IHEE : Pouvez-vous vous présenter ? A quel programme de l’IHEE avez-vous participé ? Pouvez-vous revenir sur cette expérience : souvenirs, anecdote à partager ?


Xavier Guizot : « Xavier Guizot, 50 ans, j'ai participé à la Session Annuelle 9.
J'ai travaillé 20 ans au sein du groupe Carrefour, où j'ai occupé différentes fonctions, notamment dans la gestion des risques/les assurances, la sécurité/la sûreté et l’éthique, la conformité et la gestion de crise. En somme, une fonction groupe qui couvrait des fonctions d'expertise, dont certaines étaient assez opérationnelles jusqu'à fin 2018. Depuis fin 2018, je fais plusieurs activités en même temps. Une activité de conseil en conformité et gestion des risques dans le cas d'une société que j'ai créée qui est Tirézias. Dans ce cadre, je conseille plutôt des grandes et moyennes entreprises sur les sujets de mise en conformité à la loi Sapin 2, sur le la lutte contre la corruption, sur les sujets liés au droit de l'homme et à l’environnement. J'ai une deuxième activité de Business Angel, c’est-à-dire l’accompagnement de start-up dans le cadre des levées de fonds ou alors en conseil lors de la structuration de projets. J’ai une troisième activité, qui n’a rien à voir avec tout cela, qui est le développement d'une activité plus entrepreneuriale de conciergerie-blanchisserie-ménages à la montagne dans la cadre de la société Alpes Premium.
De mon expérience IHEE, je retiens l'énergie positive (sans être mystique !), notamment par la compréhension des angles de vue, la manière de voir les choses des différentes parties prenantes dans un contexte de confiance, de respect, d'écoute et de confiance.
Je me souviens, comme Guillaume Sainteny que vous avez interviewé il n’y a pas très longtemps, des voyages d’étude aux Etats-Unis au moment de l'élection de Barak Obama, ou en Tunisie, avant la chute de Ben Ali qui eut lieu en 2011, mais en 2008, quand on y était, il y avait déjà une ambiance particulière et on se demandait combien de temps cette situation pouvait encore durer.
L’ambiance de confiance que créé l’IHEE permet de développer une compréhension des choses qui est forcément utile dans les décryptages, les postures qui sont prises par les uns et les autres. Les participants ne sont plus des journalistes, des syndicalistes, … mais ils sont eux-mêmes, ils ne jouent pas un rôle. Ils sont dans la vraie vie. Et quand on est dans la vraie vie, on ne joue pas de rôle. C’est assez fondamental que les gens ne soient pas en posture. 
Ceux qui font la Session Annuelle ont une grosse capacité d’envie et de respect. Un besoin de découvrir, de s’ouvrir aux autres. Les participants n’ont pas de certitudes mais des convictions. L’IHEE est un briseur de certitudes de ce point de vue-là. ».

 

Quel est votre regard sur les évolutions à venir en matière de Risks and Compliance ? En quoi ces évolutions vont-elles impacter l’entreprise/ l’organisation de manière générale ? 

« Aujourd’hui le mot risque est de plus en plus présent dans le contexte actuel, dans les médias, les conversations. C’est un sujet d’actualité. On met beaucoup de choses derrière : beaucoup d’incertitudes, de craintes. Mais ce qui est sûr, c’est que derrière ce mot risque, ou bien derrière le mot risque, il y a beaucoup d’opportunités. C’est une façon de voir les choses.
Une démarche engagée (mais non dogmatique !) de gestion des risques permet aux entreprises et aux organisations de réfléchir aux risques de manière plus ouverte, avec des regards croisés de parties prenantes, de manière plus qualitative que quantitative et plus transversale dans l’entreprise, avec une vision prospective au travers de scénarios. Ça peut conduire à une forme d’agilité et éviter d’être confronté à du dur, des situations que l’on aurait pu envisager, et donc de mieux se préparer. Ça va également amener à réfléchir en intégrant encore davantage les parties prenantes, dont les collaborateurs, dans le business model. Ce seront surement des points de force pour ces entreprises et organisations sur les points suivants : risque, prospective, anticipation, prospection et questionnement. Tout cela au service de la compétitivité et de réussite durable dans une logique de performance globale.
Le deuxième sujet, la compliance (la conformité), renvoie aux cadres dans lesquels interviennent les entreprises, les organisations. On voit depuis quelques années des tendances de droit mou, de sujets sociétaux (développement durable, RSE…), qui étaient de la dynamique positive. Mais aujourd’hui, il y a une clause de rendez-vous. Maintenant, ce que l’on dit, on doit le faire. Il y a des choses qui existaient depuis longtemps, du type lutte contre la corruption, mais on voit monter en droit et en obligation pour les entreprises, l’effectivité sur les sujets des données personnelles, sur le droit humain et sur l’environnement. Ce sont des tendances profondes auxquelles les entreprises ne sont pas toutes préparées. Elles doivent misées sur l’effectivité : l’intégration par les opérationnel dans le business model de ces sujets. Les entreprises doivent avoir la capacité d’aligner la communication et les actes, car sinon les écarts vont être relevés par les ONG, par les citoyens, par les clients. 
Les sujets de conformité sont alimentés par la montée du droit d’alerte, la protection des lanceurs d’alerte et donc la meilleure solution est d’aligner le « dire » et le « faire » ou plutôt d’aligner le « faire » et le « dire ». Le « walk the talk » anglais. »

 

Qu’est-ce que cette crise a durablement transformé dans votre pratique professionnelle ? Les évolutions perçues dans votre entreprise rendent-elles nécessaires selon vous l’acquisition de nouvelles compétences dont l’IHEE devrait se saisir ?

« La crise sanitaire a conduit les entreprises à différentes choses : ça a été un accélérateur, un révélateur pour certaines choses, ça a été aussi un questionnement sur l'utilité relative des différentes fonctions, des fonctions centrales d’expertise, d’appui, de support. Ça requestionne le mode de fonctionnement entre l’opérationnel, le cœur de métier et beaucoup de fonctions d’expertise qui se sont développées. Le questionnement s’est posé sur « qu’est ce qui est vraiment indispensable, utile », et cette étape n’est pas finie. Avant la crise, on parlait beaucoup d’entreprises libérées, de nouveaux modes d’organisation, et tout ça a été méga accéléré avec la crise, non maîtrisé et subit par de nombreuses organisations qui n’étaient pas prêtes.
Après l’entreprise libérée, qui est une vraie tendance que je vois depuis quelques temps, c’est ce que j’appelle l’entreprise éclatée : un noyau nucléaire de l’entreprise qui ensuite, notamment pour ses fonctions support, va aller chercher à l’extérieur et de manière ponctuelle les expertises dont elle a besoin, au moment où elle en a besoin. Ça existe déjà beaucoup dans le domaine de l’informatique, des systèmes d’informations avec les plateformes de services, mais ça se généralise. On voit également se développer le temps partagé qui correspond aussi à une aspiration de plus en plus de personnes de faire plusieurs activités. Ça pose la question de la cohésion, de l’affectio-societatis, de l’esprit d’équipe, de la capacité à innover, du bénéfice du collectif. 
Attention au juste équilibre pour avoir une garantie de forme de cohésion de collectif versus des gens qui ont des expertises, qui sont bankables, qui peuvent aller juste vendre leur expertise dans du temps partagé, dans du management de transition, une forme de liberté ou de contrainte choisie. Et il y a sur certaines expertises des complexités sur leur disponibilité ou d’attractivité pour l’entreprise, ce qui fait qu’il y a un moment où les choses risquent d’être compliquées. 
Regardez la part des étudiants qui sortent des grandes écoles et qui veulent monter leur start-up versus ceux qui veulent rejoindre le parcours roi des entreprises telles que Procter, L’Oréal, Société Générale ou BNP Paribas, elle a clairement changé ces derniers temps.
Une entreprise, ce sont des femmes et des hommes, une idée, un collectif et des valeurs partagées, sans oublier la vision et le sens qui sont très importants.
Finalement, l’entreprise intervient malgré tout dans un environnement concurrentiel et le terme agilité prend tout son sens. Pour être agile, il faut des femmes et des hommes qui vont être engagés et impliqués, c’est un enjeu important.
Il est important de maintenir ce lien, si vous n’avez pas eu l’onboarding et la possibilité de rencontrer et de développer des liens, le 100% virtuel ne fonctionnera pas.
Il y a un bouquin qui est sorti récemment qui s'appelle NOISE, qui est un livre du prix Nobel d’économie, Daniel Kahneman, dont Olivier Siboni intervient dans la version française, sur les biais cognitifs : comment les dynamiques de groupe peuvent impacter les décisions et quelle est l’influence des contextes. Le principe est de se dire que si le meilleur employé, le meilleur collaborateur, le meilleur top manager du monde a une présentation à faire demain, et même s’il est le meilleur, il peut être influencé par le contexte personnel, professionnel, d’équipe, il est impacté par son vécu. Et ma conviction est que les impacts de cette crise renvoient à une forme de relation de l’entreprise aux collaborateurs avec davantage d’individualisation, de prise en compte accru des contextes individuels, des contraintes qui peuvent évoluer au fil du temps, et ça il faut l’accepter, ce qui peut faire peur aux entreprises.
L’enjeu est ainsi de voir comment intégrer la prise en compte accrue des individualités dans un collectif, car si on ne les prend pas en compte, le collectif se délite.
Afin de réussir cette transition, je pense qu’il est important d’éviter la déconnexion des grandes entreprises avec la réalité. Elles essaient de se reconnecter à la réalité avec des start-ups, mais ce n’est pas si simple, car ce sont des mondes encore le plus souvent parallèles, sauf pour quelques collaborateurs des entreprises en charge de ces sujets. »

 

Quel est votre regard sur l’impact de cette crise internationale sur les risques des entreprises qui sont développées à l’international ?

« Sur le côté international, je vois trois points :

  • Le premier point, c’est la fragilité des chaines d’approvisionnement sur les matières premières. La crise a été un révélateur de la mondialisation réelle. Les chaines d’approvisionnement mondiale sont éclatées et les sujets autour des matières premières sont critiques.
  • Le deuxième sujet, c’est l’influence croissante de la géopolitique avec une forme d’insécurité juridique et même opérationnelle pour les entreprises. Et cela a durci les postures, ce qui n’est pas facile dans la prise en compte de ces sujets.
  • Le troisième élément, ce sont les écarts de richesse accrus, les inégalités avec un certain nombre de gens qui ne peuvent plus se déplacer. Les entreprises sont internationales, mais elles ont des entités juridiques, et il n’y a plus réellement de dynamique internationale d’animation. Cela a eu aussi un impact sur la capacité d’animation et de contrôle. Les entreprises internationales ont des implantations partout, c’est en se déplaçant d’une part que l’on créé du lien, que l’on connait les situations, que l’on connait les cultures et que l’on voit aussi ce qui va bien ou non. Cela a conduit à une forme d’autonomisation, d’ « éloignement » forcé des filiales. Même si on ne peut pas généraliser, c’est tout de même une réalité. Mais si une entreprise est internationale, il doit y avoir des déplacements, ils doivent être organisés, sécurisés et régulés. Le risque d’arrêter les voyages professionnels est que ça casse l’ouverture d’un point de vue global, ça renferme sur soi, et ça perd de l’intérêt dans l’alchimie qui est créée entre les équipes.

Sur ces trois points, la situation en Ukraine n’a pas vraiment arrangé les choses…
L’entreprise c’est une histoire de rencontres de femmes et d’hommes, du collectif et si l’entreprise est présente à l’internationale, il faut aller à la rencontre des opérations, sinon, à quoi sert un siège ?! Certaines décisions prises dans les entreprises me semblent parfois des postures un peu radicales, dogmatiques. N’oublions pas que l’international est également un facteur d’attractivité des talents, de rencontres, de découvertes et d’expériences mais aussi d’innovation. »
 

Avez-vous un conseil/une réflexion /une lecture/une citation/ une œuvre d’art à partager avec nos lecteurs ? Et pourquoi ?

« Mon inspiration du moment, je l’ai citée précédemment, c’est le livre « Noise ».
Dans un autre genre un peu décalé, il n’est pas inutile de parcourir le « Chief Bullshit Officer » sorti très récemment. »