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Sébastien Lemoine

Chief entertainment officer et consultant inspiré par la culture japonaise

Compagnon de route des Sessions Annuelles 19, 20 et 21

 

1986-1990: HEC Paris 
1990-2004: Société Générale Hong-Kong, Tokyo, Paris
Vente et structuration de stratégies à base de produits dérivés sur les marchés de change, taux et matières premières (métaux précieux, métaux de base, gaz, électricité, produits pétroliers)
2004-2007 : BNP Paribas Londres
Transactions financières structurées sur les marchés de matières premières (couverture et financement des entreprises, produits d’investissement pour les investisseurs), animation d’une JV avec les équipes de dérivés sur action 
2008-2013: Macquarie Bank, Tokyo
Animation d’une JV avec Nomura Securities active sur les marchés dérivés de matières premières, puis responsable du business development pour Macquarie Tokyo sur les produits dérivés de change et matières premières.  
2013 :  lancement du projet Passerelle, qui devient une société en 2017 
2019 et depuis 2022 : prestations à temps partiel de conseil aux entreprises européennes cherchant à se développer sur le marché japonais

IHEE : Pouvez-vous vous présenter ? Racontez-nous votre lien avec l’IHEE : comment avez-vous été amené à collaborer avec l’IHEE ?

Sébastien Lemoine : Mon nom est Sébastien LEMOINE. J’ai passé le cap de la moitié de ma vie d’adulte au Japon, que je découvris étudiant dans une grande école de commerce. Une première carrière me fit voyager entre quelques grandes capitales financières (Tokyo, Hong-Kong, Londres, Paris). Cadre de banque, je traitais des produits dérivés sur les marchés financiers de change, taux puis matières premières. Le choc Lehman puis le grand séisme du Tohoku de 2011 ont précipité un changement d’orientation dans ma vie (un changement d’OS). Je décidai de développer un projet autour de ma passion pour certains pans de la culture japonaise (dont son très bon saké). Ce projet est devenu une petite entreprise qui porte le nom de Passerelle, avec une mission : susciter et partager l’inspiration qu’on ne manque pas de recevoir dans l’expérience du Japon. Concrètement, pour une clientèle d’entreprises, d’agences de voyage et de personnes privées qui me trouvent par le bouche-à-oreille, je suis actif comme consultant culturel, éducateur, producteur d’évènements ou d’ateliers, je monte des itinéraires et les guide, tentant d’offrir quelques clés de compréhension de ce pays. Il est si riche qu’on ne manque pas de trouver une pépite culturelle lorsqu’on gratte la surface des choses. C’est à l'agence de voyage réceptrice à Tokyo que je dois le plaisir d’avoir accompagné l’IHEE dans ses voyages d’étude au Japon. 
Fortement impacté dans mes activités par la pandémie, je complète depuis quelque temps mon activité avec du consulting d’affaires plus traditionnel, aidant quelques entreprises européennes à pénétrer le marché japonais, prenant plaisir à créer des passerelles d’une autre nature...

 

 

Vous êtes français, vivant au Japon depuis quelques années, pouvez-vous revenir sur ce qui vous a conduit à vous installer au Japon ? Comment s’est passé votre intégration dans ce pays ?

Il ne se passe pas une seule journée sans que je ne sois surpris par un détail de ma vie quotidienne, et cela dure depuis mon premier séjour dans ce pays, en 1987. Au-delà des paysages, on se retrouve de fait confronté dans ses rencontres à des points de vue - et donc des réflexes - fort différents dans presque toutes les dimensions de notre vision du monde, de la vie, de la société. On apprend donc à s’adapter, et à pratiquer la tolérance. Ces rencontres deviennent de plus en plus enrichissantes à mesure qu’on parvient à percer la première cuirasse de ses interlocuteurs (ce qui peut prendre du temps). Le contact avec la culture du Japon peut être frustrante aussi, mais je m’y suis fortement attaché.
Le Japon est le pays dans lequel je vis, mais ce n’est pas mon pays…et ne le sera probablement jamais. Tout étranger est constamment renvoyé à son altérité. Si en promenade avec mon épouse japonaise je m’adresse en japonais à un local, il est très courant que celui-ci réponde en regardant mon épouse seule, comme si elle était seule capable de comprendre… Bienvenu et accueilli, heureux d’y vivre, oui, intégré, il y a débat.

 

En août 2022, au cœur de la crise énergétique, le gouvernement japonais projette de relancer la production d’énergie nucléaire, ce qui représenterait un tournant majeur pour un secteur fragilisé et controversé dans le pays depuis la catastrophe de Fukushima en 2011. La catastrophe de Fukushima a eu un impact international sur la vision du monde sur le nucléaire. Comment cette nouvelle est accueillie au Japon ? Le Japon est-il pleinement engagé dans un processus de transition énergétique ?

Le Gouvernement a toujours eu l’ambition de relancer son parc nucléaire (29% de l’électricité produite en 2010). Mais les autorités locales qui ont le dernier mot sur le démarrage des centrales semblent l’avoir surtout utilisé pour dire « pas encore ». La guerre a relancé toute l’industrie nucléaire, dont pour de nouveaux projets. L’indépendance énergétique est devenue critique. La part du nucléaire reste marginale vers 6%, significativement en dessous du renouvelable (un peu moins de 25%), avec un secteur solaire en croissance rapide.

 

Le Japon voit la technologie nucléaire pour produire de l’électricité. Quelle est son évolution en matière de transition énergétique ?

Le pays a beaucoup construit de solaire, mais les grandes surfaces semblent commencer à se raréfier (le pays reste bien montagneux), des soucis environnementaux sont apparus (il faut déboiser le sommet des reliefs, ce qui n’est pas sans conséquence pour les vallées). Le solaire a dépassé dans la production d’énergie électrique l’hydro, très stable. A eux deux, ils représentent les 3/4 environ des énergies renouvelables. L’éolien est très en retard. 

 

 

Selon vous, quels sont les principaux défis de la société japonaise de demain ?

Les défis sont multiples … et ils sont d’ailleurs autant d’opportunités pour les entreprises qui apportent des technologies innovantes susceptibles de résoudre les problématiques sous-jacentes.

  • Vieillissement de la population : elle sera passée de 125 millions aujourd’hui à 80 millions en 2100. Le Japon est le premier laboratoire d’étude de ce phénomène qui touche maintenant de nombreux autres pays
  • Une agriculture peu productive (très petites surfaces, terrains difficiles, une moyenne d’âge proche de 70 ans pour les exploitants, exode rural) … et donc une forte dépendance alimentaire (60% environ)
  • Sa forte dépendance énergétique (plus de 70% encore), en particulier sur les combustibles fossiles
  • La désertification des campagnes et ses conséquences sociales et sur l’infrastructure
  • Une infrastructure vieillissante dans un pays frappé régulièrement par les catastrophes naturelles
  • Un certain retard dans le numérique qui n’est pas facile a rattraper par ceux qui en auraient l’usage (populations âgées isolées pour la télémédecine par exemple) 

…. et bien sûr, limitant fortement la marge de manœuvre :

  • Une dette publique colossale (260% du PIB) 

 

Selon l’édition de 2020 de l’Annuaire démographique des Nation Unies, le Japon a le plus faible taux de natalité parmi les 35 pays ayant une population d’au moins 40 millions. Selon vous, y-a-t-il des conséquences en matière de politiques de formation et d’emploi, notamment pour pallier le manque de main d’œuvre dans les secteurs de l’industrie ou des services ?

Malgré la baisse annoncée de sa population active, le manque de main d’œuvre criant dans certains secteurs et sur certains métiers (agriculture, éducation, santé, restauration, hôtellerie, caissiers, artisanat …), et le poids croissant des services aux personnes âgées, le gouvernement n’a clairement pas (encore ?) choisi de recourir à une immigration massive.  Un programme de visas a durée limitée et conditions strictes (qui, à ma connaissance, n’autorise pas à se marier au Japon par exemple) est bien en place, mais il traine quelques casseroles (abus de situation, test de langage intermédiaire très sévère qui ruine les efforts de ceux et celles qui sont venus se former au Japon pour les métiers de la santé par exemple) et fut bien malmené par le COVID. Je ne vois pas encore la forme que prendra le nouvel avatar. 
La pression sociale à l’obtention d’un diplôme de l’enseignement universitaire reste vive, d’autant qu’elle est accompagnée d’une promesse d’emploi, malheureusement pas forcément dans les secteurs qui me semblent critiques pour permettre au pays de mieux utiliser la force de travail et la créativité de sa moitié la plus noble, ses femmes (crèches pour les enfants, services aux personnes âgées pour les parents). 
Entre temps, et même si le fax tarde à disparaître, les automates se développent et le gouvernement mise sur la robotisation de l’industrie ainsi que dans les services, mais ce futur promis arrivera-t-il assez vite ?

 

 

Le Japon a rouvert ses frontières au tourisme de masse mi-octobre 2022, pouvez-vous nous parler de la crise sanitaire au Japon, comment elle a été gérée et pourquoi les frontières ont-elles mis tant de temps à se rouvrir ?

Le Japon a géré la crise COVID de manière plus douce pour sa population que la plupart des pays occidentaux … à l’intérieur des frontières tout au moins. Il n’y a pas eu de confinement, et notre liberté de mouvement ou d’association n’a jamais été totalement entravée (sinon par les recommandations officielles et la pression sociale). En revanche, tandis que les japonais pouvaient continuer à traverser les frontières, les étrangers, même résidents ne pouvaient pas entrer (ni donc sortir, à moins de partir pour une durée inconnue, et sauf exceptions négociées au cas par cas entre Ambassades et Ministères de l’Intérieur). De nombreuses familles furent séparés et de nombreux entrepreneurs fortement pénalisés. Le pays a mis beaucoup de temps à développer une politique et une pratique du test PCR … et nous sommes restés très en-deca de qui fut pratiqué à l’étranger (j’ose dire que les statistiques de contamination sont donc un peu biaisées). Il faut comprendre que tandis que le pays a mobilisé son secteur hospitalier public, les cliniques et hôpitaux privés ont toujours gardé la possibilité de refuser tout malade du COVID  … et la capacité d’accueil des covidés au Japon fut donc rapidement sous pression. Jusqu’à récemment, le COVID fut traité comme un « mal » étranger et les covidés comme des pestiférés n’ayant pas respecté les consignes de distanciation sociale. Il a fallu Omicron et la vague du printemps 2022, qui a touché tous les segments de la population, après que la contagion était passée par les écoles, pour que cette image change. Les frontières restèrent fermées longtemps par crainte de ne pouvoir traiter les visiteurs qui seraient infectés à leur arrivée ou pendant leur séjour (problèmes de langue, de responsabilité, de coût etc.) … et parce qu’au fond une majorité de l’électorat était en faveur de cette fermeture.

 

Avez-vous une inspiration à partager avec nos lecteurs ?

Je recommande de s’intéresser aux mangas de Hokusai (je parle de l’artiste du 19ème siècle), qui croquent souvent avec humour toutes sortes de scènes de la vie quotidienne au Japon, de sa faune et de sa flore. 
L’art populaire de l’estampe japonaise a reçu des influences de l’art pictural européen à partir du 18 ème siècle (la perspective notamment, ou bien encore le Bleu de Prusse, pigment chimique, qui vient avantageusement remplacer le lapis lazuli, par exemple). Ces influences furent assimilées par les artistes et donnèrent naissance à un style unique qui eut en retour une influence encore plus significative sur notre culture et nos arts décoratifs : le mouvement impressionniste, la céramique et l’affiche, l’Art Nouveau, l’Art Déco. 
On prendra donc aussi plaisir à trouver dans les mangas de Hokusai des dessins qui ont directement inspiré peintres, designers, verriers et ébénistes français.

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