Emmanuelle FARRUGIA

Responsable des partenariats Provence-Alpes-Côte-d’Azur pour les Apprentis d’Auteuil

Auditrice de la Session Annuelle 15

 

 

ASSOCIATIONS ET ENTREPRISES : DES INTERETS COMMUNS AU SERVICE DU TERRITOIRE

Lors de notre voyage aux US, j’ai été marquée par la valorisation de l’échec dans l’éducation et dans le processus même d’innovation 

Qui es-tu ? 

Je m’appelle Emmanuelle Farrugia. Je suis ancienne auditrice de la 15eme promo IHEE et aujourd’hui responsable des partenariats pour Apprentis d’Auteuil en région en PACA. Je suis également maman de deux garçons.

Depuis quelque temps, on entend beaucoup parler de la quête de sens au travail. Me concernant cela a été un moteur dès le départ. J’ai toujours eu une certaine admiration pour les humanitaires, les chercheurs, les artistes, les éducateurs, ceux qui donnent une part d’eux-mêmes et qui font preuve de créativité et de courage. Et je me suis dit que si je n’étais pas l’une d’eux, tout au moins je pouvais les accompagner dans leurs projets et utiliser mon savoir-faire pour leur donner les moyens de réaliser le leur, au service de l’intérêt général. C’est le fil rouge de mon parcours et c’est la raison pour laquelle j’ai rejoint Apprentis d’Auteuil en 2020. La fondation a été créée il y a presque 160 ans par l’abbé Roussel pour accueillir et éduquer six jeunes garçons des rues du quartier d’Auteuil. Aujourd’hui, elle rassemble 7 000 salariés et accompagne 30 000 jeunes et 6 000 familles en difficulté dans près de 300 établissements en France. Nous intervenons dans la protection de l’enfance, l’éducation et la lutte contre le décrochage scolaire, l’insertion et le soutien à la parentalité. C’est une institution qui a su se renouveler et adapter son offre d’accompagnement à l’évolution de la société et des besoins des jeunes en particulier. C’est assez remarquable. 

 


Quel est ton parcours ? 

N’ayant pas de projet bien identifié au départ, je me suis orientée vers des études généralistes. Mes années d’Hypokhâgne et de Khâgne ont été intellectuellement fondatrices. Puis j’ai rejoint l’IEP d’Aix en Provence avec un intérêt personnel pour le monde arabe. Là-bas j’ai eu la chance de suivre les cours de Bruno Etienne, spécialiste de l’islam et de l’anthropologie du fait religieux. Il disait souvent que pour comprendre un évènement il faut connaître les 90 variables explicatives !  Ses enseignements ont marqué mon parcours. J’ai ensuite intégré un IAE (Institut d’administration des entreprises- Aix Marseille) en apprentissage au sein de l’armateur taiwanais Evergreen Marine Corporation, puis je suis partie à Londres en 2007 pour effectuer un VIE dans le marketing des services chez Renault. Bien qu’éloignées de mes centres d’intérêt premiers, ces deux expériences ont été formatrices et m’ont permis de développer des compétences commerciales que j’ai pu valoriser dans le mécénat dès mon retour en France. C’était en 2008. J’ai ensuite travaillé 2 ans dans une agence de conseil en communication et développement des ressources (Smile&Co) pour des grands comptes de la culture tels que le Centre Pompidou ou le Grand Palais, avant de rejoindre l’Ifri, l’Institut Français des Relations Internationales, en 2011. J’y ai travaillé 7 ans en tant qu’adjointe puis directrice du développement. Ma mission était de développer et diversifier les financements privés afin de garantir la pérennité de l’institut et son indépendance intellectuelle. J’y ai rencontré des personnes de haute valeur, d’une grande intégrité. C’est dans ce cadre que j’ai fait la connaissance de Laure Dumont, alors Directrice de l’IHEE, qui m’a suggérée de postuler à la formation. 


Quel Impact la Session Annuelle de l’IHEE a-t-elle eu pour toi ? 

L’IHEE a clairement été une chance pour moi. Pouvoir s’extirper de son quotidien pour aller découvrir d’autres modèles de société, de penser, etc. C’est rare et précieux. J’ai touché du doigt la richesse et la diversité du monde. On sait que voyager, croiser les regards, c’est formateur. Mais le vivre, c’est autre chose. Cela a confirmé à quel point il est nécessaire, voire fondamental, de s’ouvrir au monde pour comprendre qui nous sommes. Et nous sommes tout petits ! L’IHEE m’a également apporté un réseau. Je suis toujours en contact avec certaines personnes, 8 ans après. Des liens d’amitié se sont créés. J’ai croisé d’autres promotions lors d’une expédition que nous avons organisée à Marseille l’année dernière. On ne se connaissait pas mais nous étions unis par un désir commun de revivre l’expérience du voyage et de la découverte.


As-tu une anecdote liée à l'IHEE à nous raconter ?

Nous avons eu la chance d’aller visiter le siège de Facebook en Californie. Je me souviens du contraste entre les promesses de partage, de liberté, avec des plafonds ouverts pour entrevoir les câbles d’une société toujours en construction et des punchlines qui encouragent à se libérer des contraintes d’une part, et la réalité d’une surveillance étroite durant notre visite. D’un point de vue plus général lors de notre voyage aux US, j’ai été marquée par la valorisation de l’échec dans l’éducation et dans le processus même d’innovation, ce qui est très éloigné de nos critères européens, quand bien même nous avons fait du chemin.

Durant l’aventure IHEE, il y a également eu les attentats de Charlie Hebdo. Je me rappelle encore l’annonce, nous étions dans le car. C’était la sidération. Il y a eu ensuite les attentats du Bataclan, où certains d’entre nous ont perdu des proches. Je l’associe aussi forcément à cela. 


Tu as une vie professionnelle dense et tu as une vie de famille en même temps : as-tu eu des arbitrages à faire ?

Mon départ de Paris pour la Province a clairement été un choix familial. J’ai quitté un job auquel j’étais attachée sans vraiment savoir quelle serait la suite professionnelle. A mon arrivée à Marseille, j’ai rejoint une start-up du domaine de la santé et spin-off de l’INSERM, Bilhi Genetics, dont les découvertes scientifiques (identification des marqueurs génétiques prédisposant aux fibroses graves du foie) reposaient sur l’étude de la Bilharziose, maladie parasitaire qui touche les populations négligées dans les pays dits « du Sud ». L’objectif était de monter des programmes humanitaires au Brésil et en Ouganda pour venir en aide aux personnes atteintes de la maladie, sans attendre la mise sur le marché d’un premier test génétique. Mais nos actionnaires ont mis le holà au bout de deux ans car l’entreprise ne générait toujours pas de chiffre d’affaires. A la sortie, j’ai décidé de quitter l’international pour me concentrer sur les problématiques locales. Marseille est une ville de contrastes. Face à l’extrême précarité qui touche une grande partie de la population, se déploient de nombreuses initiatives constructives et solidaires, portées par une société civile très dynamique. J’ai eu envie d’y prendre part et c’est ainsi que j’ai rejoint la Fondation Apprentis d’Auteuil.

 

 

Quel lien fais-tu entre entreprise et intérêt général ?

Le principe selon lequel les entreprises ne peuvent limiter leurs activités au seul objectif de la maximisation du profit sans tenir compte de leur responsabilité sociale à l’égard de la société est désormais peu remis en question. En témoigne l’évolution du cadre réglementaire mais aussi les attentes affichées des différentes parties prenantes, que ce soit les consommateurs, les collaborateurs ou bien encore les financeurs. Lors de notre voyage à Copenhague en 2015 nous avons rencontré l’entreprise Novo Nordisk. Je trouve très intéressante la formule de Rebien Sorensen, PDG du groupe à l’époque « la responsabilité sociétale de l’entreprise n’est rien d’autre que la maximisation de la valeur de l’entreprise dans le temps, car à long terme, les problèmes sociaux et environnementaux deviennent des problèmes financiers ». Nous avons bien tous intérêt à aller dans le même sens, celui du bien commun.

Et ce faire, je suis convaincue que les associations ont un rôle clé à jouer. En tant que garantes de l’intérêt général, elles peuvent être un partenaire stratégique pour les entreprises dans le cadre de leur politique RSE. Il s’agit d’identifier les forces et les ressources de chacune des parties, entreprise et association, afin de créer des partenariats gagnant-gagnant. Chez Apprentis d’Auteuil cela se traduit, entre autres, par des programmes de co-construction de formation sur des métiers en tension pour des jeunes éloignés de l’emploi. Apprentis d’Auteuil s’engage sur le sourcing et le suivi des personnes (accompagnement sur la levée des freins périphériques et sur les savoir-être, ainsi que le suivi post-formation pour éviter les ruptures de parcours). L’entreprise, quant à elle, va mobiliser des ressources humaines pour l’accueil et la formation des jeunes, ainsi que des ressources financières sous forme de mécénat. Ce sont des partenariats vertueux dont les impacts positifs se mesure auprès des publics que nous accompagnons, mais également auprès des entreprises (recrutement, adhésion des collaborateurs, etc.). On écrit de belles histoires ensemble. Il suffit d’avoir les bonnes personnes autour de la table, avec les bonnes intentions, et de savoir déconstruire les préjugés qui restent nombreux. C’est très stimulant humainement et intellectuellement. 
 

 

 

Interview réalisée par Eric Fouache, Professeur de Géographie Physique et Géoarchéologie à Sorbonne Université, membre Senior de l’IUF, auditeur de la Session Annuelle 2 et Membre du bureau IHEE Connect.