Emmanuelle Berrebi

Senior Advisor in Innovation & Change chez BNP Paribas

Présidente de l'association Séphora Berrebi

Auditrice de la Session Annuelle 13

Présidente de la commission Solidarité d'IHEE Connect

 

De la banque à l'engagement éducatif et solidaire : le parcours d'une combattante

« L’éducation, c’est l’espoir d’une société. C’est l’enjeu des enjeux ! Celui qui permettra, grâce à des citoyens instruits et éduqués, de relever tous les autres. »

Quel est ton parcours ?

Strasbourgeoise, mes études à l’Institut National des Télécommunications et à Dauphine me conduisent à Paris. Au lycée, au moment de faire un choix, j’ai pensé qu’il serait plus facile de me former aux plans scientifique et technique tout en côtoyant Mallarmé et Saint-John Perse à mes moments perdus que de me livrer aux délices d’une classe prépa littéraire en découvrant de mon propre chef les charmes des intégrales stochastiques. Même si le « coup de dé [qui] jamais n’abolira le hasard »  reste toujours un mystère à mes yeux, je ne regrette pas cette décision. Avec les jeunes en mal d’orientation que j’ai l’occasion de croiser, je partage cette conviction qui m’a guidée alors et me paraît plus que jamais d’actualité : dans notre monde ultra-technologisé, il est essentiel de comprendre a minima les sous-jacents qui gouvernent notre réalité.
C’est par hasard que je démarre mon parcours professionnel dans la banque et si j’y suis toujours, c’est que j’ai eu la chance d’y faire des expériences multiples et stimulantes. D’abord ingénieur télécom chez Paribas, j’ai ensuite été en charge de la relation commerciale avec les grands groupes du secteur du BTP avant d’évoluer au sein du département des risques de BNP Paribas. J’y ai réalisé des choses très variées, tous métiers confondus : mise en place des premières politiques de crédit et de notation du Groupe ainsi que des premiers outils de rating corporate, intégration de la banque de détail dans le dispositif risque indépendant à l’occasion de la réforme Bâle 2, premiers travaux sur le capital réglementaire au regard de modèles de capital économique, pilotage de programmes complexes à l’échelle internationale, création d’équipes notamment pour assurer la « seconde ligne de défense » de métiers comme la Banque Privée, l’assurance, l’asset management et le métier titres , etc. J’ai eu le plaisir d’être membre du Comité Exécutif des Risques du groupe BNP Paribas pendant plusieurs années. Au fur et à mesure de mes responsabilités diverses, j’ai approfondi mes connaissances sur les différents types de risques (crédit/contrepartie, marché, liquidité, opérationnel). Au fond, la première mission d’un banquier est la prise de risque éclairée. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai lancé la Risk Academy de BNP Paribas. J’ai dirigé des équipes de credit officers, de quants, d’informaticiens, de business analysts, etc. Par-dessus tout, c’est le management que j’ai adoré. Yann Le Cun (chercheur français, qui est l’un des pères de l’intelligence artificielle et dirige un laboratoire de Facebook sur cette discipline) le dit mieux et différemment mais l’essor de la technologie amplifie le besoin d’intelligence humaine, a fortiori coopérative. A posteriori, je réalise que ce n’est probablement pas par hasard si je suis aujourd’hui Senior Advisor en innovation. Ce parcours, enfin, m’a permis de voir à l’œuvre - action et réflexion – des banquiers d’envergure comme Michel Pébereau, ancien Président de l’Institut de l’Entreprise.

 

Un parcours classique et linéaire, somme toute ?

Pas du tout ! Un parcours émaillé d’accidents de vie. A partir de la trentaine, je croise le fer avec le cancer. Au-delà du choc que l’on imagine, des projets stoppés nets, familiaux, professionnels ou autres - à l’époque, pour ne pas brouiller mon image, je n’aurais pour rien au monde avoué à mes collègues que je venais d’être admise en dernière année du Cours Florent, au-delà des traitements au karcher et de leurs conséquences définitives, il y a la douleur physique qui ne me quittera plus. A tous niveaux, et quels que soient les progrès, il reste fort à faire avec les défis liés au cancer. Au même moment, l’une des deux femmes de ma vie, ma mère, une enseignante hors pair, succombe à un cancer. Le pire restait à venir, en 2016, et je ne peux toujours pas en parler. Sache seulement que j’ai fondé, avec mon époux, une association en hommage à notre fille bien aimée, Séphora, la deuxième femme de ma vie.

 

Souhaites-tu néanmoins nous en dire plus sur les missions de cette association ?

Séphora, qui ne savait plus lire et compter après de multiples opérations au cerveau, a tout réappris grâce à une volonté d’enfer et a réussi à reprendre ses études d’ingénieur. Elle nous a enseigné qu’apprendre est vital. Aussi accompagnons-nous des enfants, adolescents et jeunes adultes qui sont « empêchés » dans leurs apprentissages : parce qu’ils sont issus de milieux défavorisés, parce qu’une maladie grave les prive de l’école et les plonge dans l’isolement social, parce que leurs troubles cognitifs les handicapent ou parce qu’ils s’auto-censurent du fait de stéréotypes culturels. L’éducation, c’est l’espoir d’une société. C’est l’enjeu des enjeux ! Celui qui permettra, grâce à des citoyens instruits et éduqués, de relever tous les autres. La transmission des savoirs, savoir-être et savoir-faire a toujours été, et restera, une de mes préoccupations majeures : quand j’enseignais en Master à Sciences Po, quand j’aide un enfant atteint de troubles du raisonnement logico-mathématique ou quand je chercherai à poser sur le papier mes réflexions sur le knowledge management en entreprise.

 

A propos de stéréotypes, en quoi le fait d’être une femme a-t-il joué sur ton parcours ?

Au plan professionnel, le secteur financier a indéniablement fourni de gros efforts, bien nécessaires. Pour autant, le chemin est loin de toucher à sa fin. Les grands groupes travaillent beaucoup, à juste titre, sur l’égalité salariale. Un potentiel significatif d’amélioration demeure, dans certains milieux, sur la réalité du pouvoir effectivement confié aux femmes. Bien sûr, le pouvoir se donne, il se prend également : le pouvoir de transformer, de développer le business, de décider, d’agir, bref d’impacter le destin de l’entreprise. En tant que femme, je n’ai jamais cherché à utiliser la séduction plus qu’un homme ne le ferait dans l’objectif de convaincre, je ne veux pas outrepasser mes compétences, je ne souhaite surtout pas être à la place où je suis parce que je suis une femme. La diversification dans l’entreprise gagnera à se fonder également sur la base des styles managériaux : une femme qui gère selon le modèle majoritaire n’apporte pas tellement de diversité au collectif auquel elle appartient. Être la femme que l’on est tout en étant à sa place légitime reste difficile. Comme s’il fallait toujours et encore faire ses preuves. Comme si l’autorité et la crédibilité constituaient des attributs exogènes : avec de l’autorité, on n’est plus vraiment femme ; avec moins d’autorité visible qu’un homme, on n’est pas créditée de la même légitimité professionnelle. Je ne veux pas de ce choix. Certaines et certains peuvent considérer que c’est un sujet dépassé. Je pense qu’au contraire, c’est absolument d’actualité : les moyens mis en œuvre ne doivent pas masquer la persistance des faits.

 

Tu es passée par l’IHEE, quel a été l’impact ?

Exceptionnel ! Quelques années auparavant, j’avais participé à l’International Executive Programme de l’INSEAD. J’y ai beaucoup appris, je m’y suis fait un réseau… de collaborateurs de grands groupes comme celui au sein duquel j’ai fait ma carrière. Avec l’IHEE, c’est en dehors de mon univers que j’ai été projetée : j’ai rencontré des journalistes, croisé des magistrats, découvert des militaires, ferraillé avec des enseignants chercheurs, échangé avec des hauts fonctionnaires et sympathisé avec des syndicalistes (qui l’eût cru). On le sait, les voyages ne forment pas que la jeunesse, ils forgent la réflexion, ils la nourrissent de réalités de terrain vécues et observées. Visiter le centre de production d’une filiale du groupe Tata apporte bien évidemment davantage que l’analyse en chambre de ses fondamentaux de crédit. La particularité d’une telle parenthèse incroyablement dynamisante est d’associer à ces expéditions « ailleurs » (autres pays, autres modèles sociétaux ou économiques, autres secteurs, autres métiers) un espace-temps de dialogue et de débats potentiellement contradictoires, enrichissants du fait de la diversité des participants. Mon regard sur l’écosystème de l’entreprise a significativement évolué grâce à cette mémorable expérience. En poursuivant sur l’exemple de notre voyage en Inde, parcourir une telle terre de contrastes, entre bidonvilles insalubres et énergie économique, est tout sauf anodin : cela crée au sein du groupe d’auditeurs des interactions d’une densité rare et précieuse. Les liens amicaux tissés à l’occasion de ce partage d’expériences étonnantes, stimulantes et exceptionnelles, résistent au temps – y compris au manque de temps pour se rencontrer aussi souvent qu’on le souhaiterait ! - et persistent dans toute leur authenticité, variété et richesse. C’est toujours avec un vif plaisir que je revois mes camarades de la promotion XIII et du bureau IHEE Connect où je préside la récente Commission Solidarité.

 

Une Commission Solidarité ? Pour quoi faire ?

IHEE Connect2Help a bien entendu avant tout pour objectif de stimuler les initiatives de solidarité au bénéfice des alumni. Nous allons prochainement sensibiliser les délégués de promotion aux possibles actions. Mais c’est aussi le projet de soutenir, par les voies et moyens appropriés, des anciens auditeurs porteurs d’actions solidaires notamment grâce, je l’espère, aux partenaires de l’Institut de l’Entreprise. L’engagement sociétal de l’entreprise n’en est probablement qu’à ses débuts et recouvrira de nouvelles formes. Le réseau des alumni constitue un vivier extraordinaire, potentiellement extraordinairement efficace, au service d’actions exemplaires en matière de solidarité. Toutes les bonnes volontés sont bienvenues pour nous aider !


 

 

 

Interview réalisée par Eric Fouache, Professeur de Géographie Physique et Géoarchéologie à Sorbonne Université, membre Senior de l’IUF, auditeur de la Session Annuelle 2 et Membre du bureau IHEE Connect.