Alexis Joly

Président de ERCT Construction

Auditeur de la Session Annuelle 6

 

GERER UNE ENTREPRISE TOUT EN PERMETTANT A CHACUN DE GRANDIR ET DE S’EPANOUIR ? 

A mon petit niveau, à la tête de 70 personnes, j’essaie de montrer que l’on peut être efficace tout en étant à l’écoute

Qui es-tu ?

Chef d’entreprise et ingénieur ESTP, j’ai 52 ans et je suis père de 4 enfants. Ma vocation première était d’être pilote de chasse, mais pour des raisons physiologiques cela n’a pas pu se faire. Le métier d’ingénieur pour moi ne pouvait s’imaginer que sur du concret : le bâtiment et les travaux publics. Dans ma vie professionnelle j’ai eu une vie de salarié pendant une vingtaine d’année (Vinci et IBM) où j’ai perçu que j’étais capable d’entrainer des équipes sur un projet, avec exigence et efficacité, tout en veillant à ne pas les épuiser. C’est probablement ce qui m’a amené à vouloir prendre les rênes d’une société, et à reprendre ERCT Construction.

 

Quel est ton parcours ?

J’ai d’abord travaillé dans la construction autoroutière comme Ingénieur Travaux chez Vinci. J’ai ensuite passé 14 ans chez IBM à la Direction de projets informatiques, au pilotage des ressources, avant de co-diriger une filiale, puis d’assurer le pilotage de l’exploitation de la partie consulting et intégration. 
Je suis « un entrepreneur d’adoption ». Seul je n’en aurais certainement pas eu le courage. Je l’ai fait en m’associant avec celui qui était mon patron à l’époque et qui, lui, rêvait de racheter une entreprise dans la réhabilitation de bâtiments. Nous nous sommes lancés en binôme et cela a été la formule gagnante : lui sparring partner actionnaire et moi dirigeant de la structure.
En 2013, nous avons racheté une entreprise générale de construction que j’ai amenée à sa croissance actuelle. Nous l’avons achetée à un moment où nous pensions être à la fin d’un cycle de crise, mais contre toute attente, celle-ci s’est aggravée. Nous n’en sommes sortis qu’en 2018 ! Ces cinq années de gestion difficile ont soudé l’équipe et ont été le ressort de notre succès actuel. Nous sommes passés de 30 à 70 salariés et de 12 à 30M€ de CA.

 

Qu’est ce qui te motive aujourd’hui dans la gestion de ton entreprise ?

Tout d’abord c’est faire que la machine tourne dans un sens vertueux. Qu’elle devienne différenciante et inspirante pour les collaborateurs.
Depuis 2007, j’ai vu arriver la génération Y chez IBM. Le sport des quarantenaires consistait à expliquer que cette génération se limitait à se regarder le nombril et à demander combien ils auraient de RTT. J’ai constaté l’incroyable chance qu’elle portait pour les équipes : cette génération était sensible à l’inspiration, c’est-à-dire qu’elle avait l’appétit d’un management inspirant.
Lorsque j’ai pu faire des choix pour l’entreprise, je me suis dirigé vers des chantiers techniques, complexes. Les extensions de bâtiments ont succédé aux surélévations. Le bois a souvent remplacé le béton ou l’acier. Les isolants utilisés sont devenus plus souvent bio sourcés.
Une part de risque consistait à oser prendre de tels chantiers tout en recrutant les meilleurs ingénieurs pour être en mesure de les réaliser en privilégiant la qualité et la sécurité.
En voyant petit d’abord, et en pilotant l’augmentation de taille, nous sommes parvenus à :

  • Recruter des talents qui nous rejoignent et apprécient l’œuvre à laquelle il leur est proposé de contribuer.
  • Innover à notre niveau et nous retrouver capable, comme en ce moment même, d’ériger une petite tour de 9 étages en bois montée intégralement par nos collaborateurs.
  • Être reconnue comme une entreprise en mesure de réaliser l’improbable

C’est également écouter une aspiration toute personnelle : Passer 14 ans dans une belle machine américaine comme IBM, c’est être marqué au fer rouge de l’efficacité. C’est constater que l’action seule rapporte et c’est limiter toute action qui déroge au chemin de la pure efficacité opérationnelle.
Pour moi, le seul sujet qui m’en fait dévier, c’est de faire grandir les gens. C’est de les voir évoluer, sous mes yeux, leur donner l’occasion de progresser, de se réorienter vers des parcours auxquels ils n’auraient pas pensé. A mon petit niveau, à la tête de 70 personnes, j’essaie de montrer que l’on peut être efficace tout en étant à l’écoute. J’essaie de faire que chacun puisse s’épanouir, avec des horizons dont le cadre puisse évoluer. 
Un ingénieur informaticien qui manque de brillance technique mais qui devient un bon pilote de projet, un carreleur physiquement cassé par son métier à 55 ans qui cesse ses arrêts maladies successifs pour accepter de devenir technicien de chantier et accompagner les locataires de HLM grâce à son humour, son franc-parler et son humanité. Je souhaite leur redonner une identité professionnelle et une dignité. Mais surtout, c’est le plaisir de se mettre autour d’une table pour casser le cadre et proposer des options différentes, tenter de voir le fil autrement, et réussir ensemble.

 

Quel Impact la Session Annuelle a-t-elle eu pour toi ?

En 2006, IBM était partenaire du programme et c’est ainsi que j’ai été sélectionné pour être auditeur. Cela a été une vraie surprise. Homme de terrain, des missions difficiles, et venant de la production, je ne pensais pas avoir un jour l’occasion de vivre une telle expérience. Elle m’a ouvert au monde, à d’autres mondes, qui pensent et fonctionnent différemment. 
Cette session m’a permis de découvrir et comprendre les mécanismes et visions d’autres communautés comme les journalistes, et les hauts fonctionnaires, et de mûrir mes aspirations profondes. Elle m’a également offert la possibilité de prendre un formidable recul sur ma vision du monde professionnel et personnel. J’ai aussi pu rencontrer des personnes avec lesquelles j’ai eu l’occasion d’échanger dans des moments difficiles.
En 2013 quand j’ai passé le pas pour devenir chef d’entreprise tout ce capital de formation et réflexion est devenu un atout décisif.

 

As-tu une anecdote à nous raconter sur cette session ?

C’était lors d’une soirée à Shanghai. L’ensemble de la promo s’était mise à chanter des chansons françaises. Un moment festif étonnant. J’ai découvert l’amour infini de Luc Chatel pour les chansons de Johnny Hallyday et en même temps l’étonnant niveau d’approximation dans son interprétation, en tout cas le temps de cette soirée !
A l’époque, la mondialisation était une grande question en France. Rares étaient celles et ceux qui la considéraient comme inévitable. Je revois encore certains auditeurs politiques, syndicalistes ou même journalistes constater surpris qu’elle était effectivement inéluctable et qu’il s’agissait plutôt de « comment faire avec » plutôt que de « comment faire contre ». Relire ce revirement aujourd’hui semble presque lunaire : l’évidence est maintenant totalement partagée !

 

Quel intérêt trouves-tu aujourd’hui à être adhérent de l’IHEE Connect ?

C’est l’opportunité pour moi d’être en relation avec des gens de tous bords et tous horizons, avec lesquels partager des expériences, réfléchir, trouver des idées, voire déminer des sujets auxquels, en tant que chef d’entreprise, je suis confronté au quotidien. C’est parfois surtout « gagner du temps ». Quand on est responsable d’une PME, c’est aussi l’occasion de sortir de son quotidien, de faire des rencontres différentes de celles de mon cadre habituel et d’être tiré vers le haut.
L’IHEE Connect représente des opportunités professionnelles incroyables, un réseau d’une grande diversité. En 2017, grâce à une mise en relation d’Isabelle Didier, ancienne auditrice de la promo 2, dont j’avais fait la connaissance dans le cadre des réunions du bureau des anciens de l’IHEE, j’ai pu racheter à la barre du tribunal une entreprise qui allait fermer et dont les 4 salariés portugais sont aujourd’hui parmi mes meilleurs compagnons et chefs de chantier.

 

 

 

 

Interview réalisée par Eric Fouache, Professeur de Géographie Physique et Géoarchéologie à Sorbonne Université, membre Senior de l’IUF, auditeur de la Session Annuelle 2 et Membre du bureau IHEE Connect.