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Octobre 2017 : Olivier Galzi et Sébastien Mazoyer sont auditeurs de la 18e session annuelle de l’IHEE. Le premier est journaliste, le second est pilote de chasse dans l’armée de l’air. Un an plus tard, le 3 novembre 2018, ils prennent le départ du Rallye Gazelles and Men 2018.
Récit d’une semaine de traversée du désert marocain… 

Introduction

 

Nous tenons d’abord à tous vous remercier pour votre soutien durant cette aventure. L’idée était simple. Deux membres de la promo IHEE 2018 allaient poursuivre leur expérience dans le cadre du désert marocain. Ce que l’IHEE nous avait permis de faire durant l’année, nous allions le poursuivre sur un terrain encore plus exigeant… Les règles de ce rallye : pas de GPS, aucune aide technolo-gique, mais une simple carte en noir et blanc commune à tous, une règle, un stylo et une bous-sole…  Les moyens étaient différents mais les objectifs rigoureusement identiques : Prise de recul, déconnection avec l’environnement de travail, apprendre à faire le point, évaluer les risques, élabo-rer des stratégies, choisir des trajectoires, et enfin se lancer. Ce que nous imaginions de façon lu-dique avant d’entamer ce rallye s’est révélé en réalité riche en enseignements et digne à nos yeux de figurer en bonne place au chapitre des meilleurs ouvrages de stratégie ou de management en entreprise. C’est cet enseignement que nous souhaitons aujourd’hui partager avec vous.

Jour 1 : La confiance

 

Forts de la conscience de notre faiblesse (nous étions des novices en matière de rallye), nous avons décidé en ce premier jour d’épreuve de prendre notre temps. Après tout, l’objectif de ce rallye n’était pas la vitesse mais la capacité à trouver toutes les balises planquées dans le désert en effectuant le moins de distance possible. Nous adoptons donc une stratégie de méthode et de prudence, en s’arrêtant régulièrement pour faire le point et effectuer un contrôle visuel de l’endroit où nous pensons être sur la carte. A force de faire ces contrôles, on fini par repérer au loin une balise. La chose étrange, c’est qu’elle n’est pas dans le cap que nous avions imaginé. On regarde les repères visuels, on essaie de les retrouver sur la carte, et on finit par y trouver une logique ! Grosse erreur. Car à cet instant, on transgresse « la méthode » : on ne se sert plus de la carte comme un outil initial pour prendre une décision mais comme une validation de ce que l’on voudrait y voir ! On part avec un préjugé et on essaie de faire valider ce préjugé par la carte…. Et on y parvient ! On se dit même qu’on a bien fait de s’arrêter et de prendre notre temps, car sinon, on n’aurait pas vu notre erreur ! On s’y rend donc. Au résultat, cette balise s’avère être celle d’un autre parcours que le nôtre (tous les candidats n’ont pas les même parcours pour brouiller les pistes). On se retrouve donc sur un point qui n’est pas le nôtre, qui nous a obligé à nous dérouter et du coup à nous perdre, ce qui au final va nous faire rater la dernière balise de la journée à cause du temps perdu… En une journée, nous avons presque tout appris mais trop tard ! Si nous avions gardé confiance en nous (en nos choix, en notre travail d’équipe, en notre rigueur), on ne se serait pas déroutés car nous avions initialement le bon cap et la bonne trajectoire. On aurait fait moins de chemin, et on aurait pu finir tout le parcours avant la tombée de la nuit.

 

Leçons du jour: 

  • Face à l’adversité il faut rester calme, méthodique et rigoureux et refuser de se laisser séduire par des facilités apparentes, souvent trompeuses.
  • On ne pourra pas atteindre nos objectifs si on n’a pas confiance en soi, en l’équipe et en ses choix.

Jour 2: la théorie des rôles

 

Ce jour là, nous échangeons nos rôles. Je m’occupe de la navigation et Sébastien de la conduite.
Je me surprend alors à lui faire les mêmes réflexions qu’il m’a faites la veille. "tu vas trop vite"… "attend, on doit faire le point"… "ne te précipites pas"… Au bout d’un moment, on se regarde et on finit par sourire de la situation et surtout de la similitude des réflexions de la veille à front renversé. Tout se passe comme si la fonction (pilote ou navigateur) conforte une part de vous même. La navigation développe votre capacité de prise de recul, d’observation. Elle appuie sur le ressort de la réflexion. Le pilotage développe votre capacité d’action, de prise de décision rapide. Il appuie sur le ressort de l’adrénaline. Tout se passe donc comme si la fonction développait en vous des qualités (et les travers inhérents) propres aux exigences de la fonction. Si cette évidence nous a sauté aux yeux, c’est aussi parce qu’on s’est mis physiquement et fonctionnellement à la place de l’autre. C’est pour cette raison que ce nous aurions pu vivre comme un reproche nous est apparu comme une leçon. 

 

Leçons du jour :

  • Comprendre que la fonction agit sur ce que nous sommes pour en pousser les avantages tout en minimisant les risques. Bref: "connais-toi toi même" !
  • Savoir se mettre à la place de l’autre (y compris parfois physiquement) 

Jour 3: les experts !

 

C’est la fameuse étape des grandes dunes. Tout l’art réside notamment dans le dégonflage maximum de ses pneus en évitant cependant de risquer le déjantage… Fort des recommandations de l’instructeur qui nous avait fait faire le stage de pilotage avant le départ, on dégonfle les pneus à 900 gr. C’est vrai qu’ils ont l’air bien à plat. Deux "cadors" du rallye passent alors à côté  de nous et nous disent: "mais tes pneus sont presque à plat. Tu vas déjanter !".  On hésite, jusqu’à ce qu’on croise d’autres pros du rallye qui eux sont à … 700 gr ! Forts de notre mésaventure de la première journée, on décide de rester sur notre choix initial et de se faire confiance. Bien nous en a pris. Ce jour là, nous ne nous sommes pas ensablés et on a traversé les dunes avec plusieurs heures d’avances sur le gros de la troupe .

 

Leçon du jour :

  • Il existe toujours un expert pour défendre une option. A l’heure de la décision, le choix ne relève que de vous !

Jour 4: La préparation.

 

Ce jour là, nous n’avons que les coordonnées de la première balise pour démarrer. Les autres nous sont données sur place. En arrivant à la balise n°1, nous aurions donc pu faire ce que l’on faisait normalement la veille au soir, à savoir : poser tous les points sur la carte et faire notre stratégie avant de redémarrer. On décide de ne tracer que la suivante et de faire le reste plus tard quand on y sera arrivé. Résultats, on se retrouve à l’heure du déjeuner sur la 2ème balise, en plein désert et en pleine chaleur, sans rien se mettre dans le ventre et à tracer des points déjà bien fatigués par la matinée. Cela nous vaudra une erreur de placement de point, et à l’arrivée… 8 km de trop !

 

Leçon du jour :

  • Ce qui requiert de l’attention doit être fait dans des bonnes conditions et à tête reposée. Tout projet se gagne ou se perd d’abord sur la préparation 

Jour 5 : Le recul.

 

La difficulté du jour consiste à trouver une passe pour franchir une barrière rocheuse. On essaie de deviner ou elle se trouve sur la carte, mais celle-ci n’est ni assez précise ni assez à jour pour miser sur une option suffisamment robuste… On décide donc de s’approcher du relief pour le longer afin de mieux l’appréhender et pour pouvoir faire des points au fur et à mesure. Résultat, n’ayant pas le recul suffisant pour bien voir, on va longer la barrière de possible passe en possible passe en tombant d’impasse en impasse ! 

 

Leçon du jour:

  • Pour trouver son chemin, il faut parfois savoir prendre du recul. Et plus on prend un repère lointain (objectif à long terme), moins on a de chance de louvoyer en s’approchant du but. 

Jour 6 : le pouvoir du collectif.

 

Dernier jour. On pense avoir enfin appris de nos erreurs et nous aimerions savoir ce que nous valons vraiment si on joue la compétition, aux côtés des meilleurs. On va donc échanger avec eux, se jauger, s’aider parfois, prendre des risques, partir au cap pour avoir la ligne la plus droite possible quels que soient les obstacles. Résultat. De la fin du classement à l’étape du jour 1, nous finirons 5ème de la dernière étape (sur 32 équipages). Et pour la première fois, nous avons même pris le temps de partager un déjeuner avec une ration militaire…et un verre de château neuf, en compagnie des copains !

 

Leçons du jour :

  • On progresse plus vite au contact des meilleurs. 
  • On est plus fort en groupe que seul… et en plus c’est plus sympa !

Conclusion

 

A toutes ces leçons qui mériteraient de figurer dans tout bon guide du management, nous souhaite-rions en rajouter une 7ème. Parce qu’on ne l’attendait pas et qu’elle a fait le sel de cette aventure. La leçon humaine. Dans cette course, nous avons aussi appris à parfois prendre du temps, jusqu’à même s’arrêter. Pour admirer un paysage somptueux ou un ciel étoilé, pour apprécier le moment et savourer la chance qui nous était donnée de vivre cette aventure, pour passer une soirée improvisé en bivouac avec un équipage concurrent, pour partager un thé avec des copains dans un improbable « bar des sables » fait de tentes apparues comme un mirage au détour d’une dune. C’est dans ces moments là que l’on a vécu nos plus grandes émotions. C’est dans ces moments là que nous avons trouvé ce que nous ne pensions pas être venus chercher. Ces petits « détours » pour se rafraîchir, échanger et partager, qui dans la logique de la compétition, auraient pu s’apparenter à un détournement de l’objectif, furent en fait le couronnement même de l’objectif global. 

 

  • Leçon n°7 :  Le couronnement de tout objectif se trouve toujours au final dans le plaisir de la relation humaine qu’il a pu provoquer.
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