Jean-François Geneste

PDG de World Advanced Research Project Agency (WARPA)

Auditeur de la Session Annuelle 5

 

IHEE : Pouvez-vous vous présenter ? A quel programme de l’IHEE avez-vous participé ? Et pouvez-vous présenter en quelques mots WARPA ?

Jean-François Geneste : Je m’appelle Jean-François Geneste, je suis PDG de la société WARPA. J’ai participé à la session de l’IHEE 2004-2005 en tant que syndicaliste (CFTC). Plus tard, en 2008, j’ai été nommé directeur scientifique du groupe EADS, poste que j’ai occupé pendant 10 ans. Après cela, je suis devenu professeur d’innovation au Skolkovo Institute of Science and Technology à Moscou, un établissement opérant sous licence du MIT. J’ai créé WARPA fin 2018.
Le but de cette société, qui est une startup, est de développer industriellement des projets que j’ai moi-même élaborés et qui sont hautement disruptifs. En voici deux exemples emblématiques
Un dirigeable, dit TéraDrone, tout temps, tous terrains, n’ayant pas besoin de hangar, gonflé et propulsé à l’hydrogène, ayant une charge utile de 100 tonnes et un rayon d’action de 60.000 km. Un tel engin n’a pas d’équivalent au monde, même à l’état de concept.
Un moteur de propulsion spatiale (brevet) qui permet d’aller sur Mars en une semaine au lieu d’un an et qui change totalement la donne du secteur. Un démonstrateur est prévu pour 2023.
Mais WARPA a d’autres cordes à son arc. Par exemple, nous avons développé, et sommes en TRL9, un logiciel de distribution publique de clé qui est basé sur un algorithme de preuve interactive à suintement nul (de conception WARPA) qui est post-quantique et qui volera, sous forme d’un FPGA sur l’ISS en 2023. Il fera partie d’une charge utile d’observation, elle aussi disruptive et développée par une TPE qui pourra gérer plusieurs clients en même temps et en toute confidentialité.
Actuellement, WARPA discute avec des acteurs européens pour étendre les applications de cet algorithme et d’autres variantes aux domaines de la finance et du cloud.

 

 

Chez WARPA vous développez des concepts disruptifs que vous assemblez. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples, et qui sont vos commanditaires et acheteurs ? et Comment la transformation écologique s’inscrit et impacte votre secteur ?

La transition écologique n’est absolument pas dans les intentions de WARPA. Néanmoins, il est un fait que les produits performants permettent de moins polluer. C’est largement le cas des produits que nous développons qui, encore une fois, sont sans égal.
En effet, la plupart sinon la quasi-totalité des innovations actuelles, dans le meilleur des cas, sont ce que l’on appelle de l’innovation incrémentale. Cela est dû à une vision purement mercantile de l’innovation qui vise à la rentabiliser au maximum. WARPA ne joue pas à ce jeu, mais à la destruction créatrice de Schumpeter avec un but extrêmement clair de rendre obsolètes certains produits existants pour leur substituer les nôtres.

 

Comment se situe la recherche et le développement dans votre secteur d’activité au niveau mondial ? De votre point de vue, quel est le pays qui se démarque le plus actuellement dans ce secteur ?

Continuons sur la lancée de la question précédente. La recherche mondiale est conformiste et sclérosée et cela est vrai tant dans le domaine industriel que dans le domaine scientifique. Mon ami, feu Georges Lochak, alors président de la fondation de Broglie, avait coutume de dire que la physique théorique n’a rien découvert de nouveau depuis 1956, date de la découverte de la violation de la parité en physique quantique au CERN. Je ne suis pas loin de partager cet avis. Cela est inhérent, à mon avis, au système de gouvernance qui s’est établi mondialement et j’ai même écrit un livre, élaborant une théorie mathématique à ce sujet, et qui démontre qu’il est difficile qu’il en soit autrement. Le titre de l’ouvrage est « Thu$ Work€d Humankind ». J’ai cherché et trouvé des échappatoires, et c’est ce que j’ai enseigné à mes élèves à Moscou.

Il y a deux types de pays qui se démarquent. Je vais commencer par les Etats-Unis qui ont le grand mérite d’accepter de prendre des risques. Une partie de la « lumière » pourra donc venir de là, mais leur système éducatif est malade depuis très longtemps et en dehors de quelques exceptions qui pourraient fleurir ici ou là, leur contribution sera probablement faible entre maintenant et la fin du XXIe siècle. Il y a ensuite deux acteurs majeurs que sont la Russie et la Chine. Ces deux pays ont un système éducatif extrêmement solide et je puis ici témoigner de mon passage à Moscou où j’ai rencontré des physiciens qui avaient un niveau bien meilleur que les mathématiciens de l’ENS. C’était absolument surprenant et impressionnant ! Je passe alors aux réalisations physiques. Il est de notoriété publique que les Russes ont mis au point leurs fameux missiles hypersoniques. Tout d’abord, à cette annonce, l’Occident a été dans le déni en disant que ce n’était pas possible. Puis, des programmes ont été déclenchés, mais les résultats ne sont pas au rendez-vous et sont bien inférieurs à ceux des Chinois qui se sont lancés dans la bataille. Dans un autre registre, les Chinois ont réalisé leur fameux « soleil artificiel » très, très loin devant les performances du reste du monde.
La science est donc à l’est aujourd’hui et l’Europe, pour bien des raisons trop longues à expliquer ici, est, disons-le, morte ! Bien entendu, je sais justifier cela, disons, mathématiquement. Le fait que le monde de la finance, en plus, en Occident, soit ignare en science n’arrange en rien notre situation.

 

Qu’est-ce qui a évolué, dans votre vie professionnelle ou personnelle, à la suite de votre passage par l’IHEE ? 

J’ai beaucoup aimé mon année d’IHEE, la seule année de ma carrière « scolaire » que j’aurais souhaité « redoubler ». Mon évolution professionnelle s’est faite indépendamment de cette formation. Néanmoins, c’est parce que j’avais fait l’IHEE que j’ai pu agir en certains domaines et certaines circonstances et ce sont ces actions qui m’ont fait quitter le syndicalisme.

 

Pouvez-vous revenir sur votre expérience de la Session Annuelle : souvenir, rencontre avec un intervenant, anecdote à partager ?

L’IHEE, c’est un peu comme le service militaire. On y rencontre toute sorte de gens, même s’ils sont triés sur le volet. Mais culturellement, les profils sont parfois très différents. A l’époque, j’ai ressenti un assez fort clivage entre, d’une part, les gens issus de l’industrie, syndicalistes compris, et les autres professions avec un éloignement conceptuel grandissant avec les personnels de la justice, puis les politiciens et enfin les journalistes. Je pense hélas que le fossé s’est encore creusé au fil des années et une discussion aujourd’hui des protagonistes de l’époque devrait facilement le démontrer.

Vous me demandez une anecdote et je vais vous en fournir une. A l’époque, la première session de l’IHEE était au centre de formation de Total, sur une île située sur la Seine. Nous étions 44 dans ma promotion. Le président de l’Institut de l’Entreprise était Michel Pébereau. Un des 4 jours que durait cette session inaugurale, il vint nous faire un discours qui fut très capitaliste et très mondialiste. Le thème de notre année était d’ailleurs la mondialisation. Nous portions tous un badge avec notre nom, nous ne nous connaissions encore pas. Il se trouva que j’étais au premier rang. La règle du jeu consistait à lever la main pour pouvoir parler et/ou poser une question. Dans son discours, Michel Péberau dit à un moment : « le taux de chômage en France est proportionnel au niveau du SMIC ». Il fit un silence et, comme si nous n’avions pas compris, après 10 secondes, il insista en disant : « oui, plus le SMIC est élevé, plus le taux de chômage l’est aussi ». N’y tenant plus, je pris la parole sans la demander et dis : « effectivement, quand nous serons tous esclave, nous n’aurons plus de chômeurs ». Au-delà des rires que cela suscita dans la salle, cela eut l’air de le déstabiliser. Il était assis à une table située sur une estrade. Il se leva, vint vers moi, et tout en fronçant les yeux pour essayer désespérément de lire mon nom sur mon badge, il me dit, comme si nous n’étions que tous les deux dans la salle : « ce n’est pas ce que j’ai voulu dire », etc. Depuis ce jour-là, j’entretins d’excellentes relations avec lui et je vous garde d’autres anecdotes en réserve pour une autre fois. De tous les patrons que nous avons rencontrés lors des sessions 2004-2005, c’était assurément le plus intelligent et de loin, à mon avis… Nous sommes parfois tombés d’accord, même si ce fut rare, mais la qualité des hommes se juge à leur capacité à discuter et à s’entendre surtout quand ils ne sont pas d’accord. En ce sens, la qualité globale de la société française s’est largement dégradée.

 

Avez-vous une inspiration à partager avec nos lecteurs ? Et pourquoi ?

A partir d’octobre, je vais donner une conférence d’astrophysique dans plusieurs pays et même hors d’Europe. Dans mes planches se trouvera cette citation : Dieu est-il une hypothèse (Laplace), ou une évidence ? Le mathématicien ne considère comme hypothèses que des évidences et la seule évidence qu’il n’a pas le droit de considérer comme hypothèse est Dieu.

Il va de soi que cela s’adresse initialement aux physiciens quantiques qui ont réussi à accoucher d’une physique non causale, la causalité ultime, si je puis dire, étant le hasard intrinsèque. Ils ont donc mis Dieu dans leurs équations. 

Je vais maintenant vous donner un indice du pourquoi j’ai écrit cela. La science, c’est avant tout le doute. Et chaque objection, chaque doute devraient faire l’objet d’une étude minutieuse. Or, que se passe-t-il aujourd’hui ? Le doute n’a plus sa place en notre société et ceux qui doutent sont, lentement mais sûrement ostracisés. La science elle-même est la proie des puissances d’argent. On falsifie les résultats, on tord les statistiques (comme le disait si bien Churchill), on arrive à monter ex-nihilo des pseudo-théories qui sont contingentes pour nos sociétés. Il est loin le temps de nos ancêtres pragmatiques qui demandaient, pour que quelque chose soit qualifié de scientifique, que ce soit expérimentable et reproductible. Or, par exemple, cela n'est le cas ni du réchauffement climatique ni du Big Bang. Et pourtant, ces deux sujets, qui, encore une fois, ne sont que des exemples, peuplent largement le paysage médiatique et ont une influence extraordinaire. Pis, quand on propose, comme cela m’est arrivé, une expérimentation ne serait-ce que pour vérifier, elle est, bien entendu, refusée. On ne sait jamais, au cas où le château de carte financier construit dessus s’écroulerait…